POUR LA FIN DE L’ADMINISTRATION TOTALITAIRE DES GOÛTS DES VINS AU PROFIT D’INTERETS PARTICULIERS
POUR REHABILITER LA DEGUSTATION DANS LA CONSTRUCTION COLLECTIVE DE L’AOC
1. POUR EN FINIR AVEC LE « PROFIL ORGANOLEPTIQUE DE L’APPELLATION »
La réforme des signes de qualité, sous l’égide de l’INAO, est en marche. C’est dans ce cadre qu’est organisée la réforme des Appellations viticoles. Dans le dernier document publié par l’INAO le 18 juillet 2007, on lit :
« IV – L’examen organoleptique
La réforme ne modifie pas le principe selon lequel la dégustation est un élément fondamental du contrôle des produits, en particulier pour ce qui concerne les appellations d’origine. Toutefois, la composition de la commission chargée de l’examen organoleptique, doit être telle qu’elle lui assure un fonctionnement indépendant et impartial. Le CAC a ainsi acté le fait qu’elle devait comprendre les trois collèges suivants :
– experts
– porteurs de mémoire du produit
– usagers du produit, commerce alimentaire, consommateurs, toute personne proposée à l’ODG par l’organisme de contrôle,…).
Les dégustateurs seront choisis et évalués régulièrement par l’organisme de contrôle agréé et la formation de ces dégustateurs relèvera de l’ODG
Les modalités de désignation des membres de la commission chargée de l’examen organoleptique de même que ses modalités de fonctionnement figureront dans les plans de contrôle ou les plans d’inspection. »
Ce simple paragraphe remet à nos yeux en cause toute la réforme telle que nous la souhaitions. Pour trois raisons essentielles :
– Elle réintroduit le rôle de la dégustation dans son rôle fondamental précédent pour l’agrément des vins, rôle dont la remise en cause était un des motifs initiaux de lancement de la réforme.
– Elle donne le pouvoir à l’organisme de contrôle de choisir et proposer les dégustateurs, à l’ODG de les accepter et les former : mais sur la base de quels objectifs ?
– Elle réintroduit en réalité par la grande porte, dans la dégustation, la nécessité d’établir un « profil organoleptique de l’appellation », et d’en faire le critère éliminatoire pour des vins non conformes à ce profil de « référence » : c’est le grand retour de la funeste « typicité organoleptique ».
Cette démarche d’administration « syndicale/certificative » des goûts n’a aucune base scientifique, culturelle, commerciale, défendable.
2. LES GOÛTS, NATURE ET CULTURE
– Chaque individu a son propre équipement gustatif génétiquement déterminé, unique, comme chacun à son empreinte digitale unique. Personne n’a le même équipement biologique de perception des molécules sapides, ni dans la diversité de l’équipement en récepteurs sensitifs, ni dans les niveaux de sensibilité à ces molécules.
– On sait maintenant que la génétique n’est pas tout. La valorisation des potentiels génétiques de chacun dépend des circonstances de la vie, qui sont uniques. La vie, dès la petite enfance, ne fait que complexifier, différencier encore davantage, sans qu’on puisse le prévoir, les facultés de chaque individu.
– Le mot « goût » en français est ambivalent : il parle à la fois de la perception individuelle de celui qui « goûte », à la fois de l’objet qu’on goûte. Bon ou pas bon ? veut dire en réalité « j’aime, ou : je n’aime pas ». « Bon, pas bon », c’est d’une certaine façon une tentative d’objectiver son propre goût, d’en faire le goût des autres, alors qu’il ne s’agit que de sa propre sensation, de son propre plaisir ou déplaisir. Dire à quelqu’un « ça c’est bon », c’est en réalité lui dire « moi j’aime ça, et toi ? ». Et la communication ne peut guère se faire que sur ce point, car pour ce qui est de la réalité de la perception, personne ne peut vraiment savoir quel « goût » l’autre perçoit. Le même mot employé pour parler d’un goût perçu ne veut pas dire que nous percevons le même « goût » : ce mot est simplement une tentative de communiquer, pour nommer ce que CHACUN ressent.
– L’appréciation d’une odeur ou d’une saveur dépend du plaisir qu’elle procure, ou non. On sait maintenant, irréfutablement, que le déclenchement par la perception de molécules sapides de la sensation de plaisir, ou de déplaisir, est étroitement dépendant du vécu individuel, et social, de chacun :
– de l’association de la perception de ces molécules à des circonstances heureuses, ou malheureuses, de leur découverte, souvent depuis la toute petite enfance ; pourquoi Max aime-t-il la confiture de fraise, et Zoé la déteste-t-elle ? Qui des deux a le « bon » goût ?
– Dépendant aussi de l’association de la perception d’une ou plusieurs molécules à un moment de plaisir dans la vie sociale, à la réussite professionnelle, à des satisfactions diverses….
Le goût, c’est aussi, c’est beaucoup…l’affect. On dit aimer ce « qui est bon », mais à la vérité, on TROUVE «bon » ce qui fait plaisir. Et les causes du plaisir..ne sont pas QUE DANS ce qu’on mange, ou boit….
André Holley, professeur de neurosciences, comme P Mac Leod, neurobiologiste, a écrit : « A propos du goût, il est temps de se souvenir qu’il n’est pas contenu dans l’aliment, mais qu’il naît de la rencontre de l’aliment et des appareils sensoriels de celui qui le consomme. Et qui plus est, il est pour une bonne part appris… » (André Holley, le cerveau gourmand, Odile Jacob).
–
Ces trois facteurs fondamentaux de la neurobiologie du goût condamnent par principe toute prétention à constituer un jury « indépendant et impartial » qui aurait une autre fonction, dans le cadre de la gestion des signes de qualité et d’origine, que celle de vérifier uniquement, par sondages, le caractère marchand de vins issus de domaines habilités. A aucun moment dans ce texte de l’INAO l’objectif de la dégustation, ses fondements, ne sont posés explicitement, ce qui est une erreur disqualifiante eu égard au niveau de connaissance et aux enjeux mondiaux actuels (patrimoniaux, culturels, commerciaux) dans la production de biens alimentaires quand il s’agit des vins d’AOC, et pose la question de ses fondements juridiques. Mais en réalité, à partir du moment où on fait appel en particulier à des «porteurs de mémoire » dans les jurys de dégustation, il devient explicite qu’il ne s’agit plus simplement d’une vérification du caractère marchand d’un vin. La présence des « porteurs de mémoire » donne son sens à la démarche d’ensemble. Elle explicite ce qui motivera l’ODG dans ses choix de formation et de recrutement des «experts » et autres membres des jurys. On est bien dans le « profil organoleptique de l’appellation », critère d’agrément ou de désagrément.
Il faut en être conscient et le reconnaître : constituer un jury n’est jamais « objectif » « impartial », « indépendant », sa sélection correspond à des objectifs organoleptiques, à des exclusions, à des choix, y compris commerciaux.
Mais les compétences et les champs d’intervention de l’INAO ou des ODG peuvent ils aller jusqu’à se substituer aux vignerons ou aux entreprises dans la définition des caractéristiques organoleptiques de leurs produits et dans la recherche de leurs marchés, jusqu’à imposer par conséquence des cibles de marché aux producteurs ?
3. LES FONDEMENTS DE LA DEGUSTATION D’AGREMENT
Certes J. Capus souhaitait donner une certaine place à la dégustation pour les vins d’appellations, mais déjà , sans les connaissances scientifiques qui sont aujourd’hui les nôtres, il écrivait : « La dégustation, malheureusement, n’est pas une science ; elle est impuissante à exprimer ses appréciations en caractères objectifs et concrets. ». La dégustation d’agrément a été rendue obligatoire par le décret du 9 janvier 1967. Dès 1974, sous la plume de Jean Branas, professeur honoraire à l’Ecole nationale supérieure agronomique de Montpellier, on pouvait lire :
« Le contrôle de la qualité du vin produit dans les régions AOC par la dégustation obligatoire serait attributive de l’Appellation ….. puisque la règle commune se résume à l’épreuve gustative, considérée comme un absolu, pourquoi ne pas regrouper sous la dénomination d’AOC toutes les appellations existantes en commençant par les VDQS ? ….C’est donc la substance et le fondement même de la doctrine juridique des AOC qui se trouvent mis en cause sous la caution d’un critère éminemment subjectif inconstant et imprécis. De ce chef, la confusion entre « grand vin » et « bon vin » est établie, mise à l’ordre de la viticulture. Et comme la fausse monnaie chasse la bonne, dans quelques lustres si l’on n’y porte remède, la majorité des grands vins, à l’exception peut-être des « tout grands », peut disparaître de l’Armorial français. »
J. Branas mettait ainsi le doigt sur le ressort fondamental, mais jamais explicite, de la mise en place de la dégustation et de ses critères : la prise de pouvoir des vins de volume dans le système des AOC, au détriment des vins de terroir minoritaires, pour la défense desquels J.Capus avait voulu la création de l’INAO et des AOC. La prédiction du défunt J. Branas s’est malheureusement en grande partie réalisée.
Une nouvelle étape a été franchie ensuite dans la dégustation, parachevant cette prise de pouvoir. Pour mieux comprendre, revenons sur l’article de J. Salette de l’INRA d’Angers publié en 1997 dans la Revue des Œnologues « la typicité ».
Cet article se donne comme objectif d’expliquer « la typicité, une notion nouvelle… ». Nous en avions déjà proposé une analyse en décembre 2002. Mais revenons dessus, car on doit mettre en évidence, dans le cadre de cet article, un point clé :
«l’agrément : dans la plupart des cas actuellement, il s’agit le plus souvent de repérer les défauts ou de juger d’un niveau qualitatif global considéré comme suffisant pour correspondre à l’Appellation revendiquée. La mise en évidence de défauts entraîne logiquement une pédagogie corrective concernant les conditions de production ou de vinification. Mais, au-delà de cette démarche corrective, on peut envisager de voir se développer dans certaines régions des commissions de dégustation qui auraient comme objectif l’étude particulière de la typicité, la constatation de la possession par l’échantillon d’une typicité représentative de l’AOC considérée. La recherche d’une typicité plus clairement apparente et plus nettement défendable peut sans doute être considérée comme un point positif intéressant dans le contexte concurrentiel que nous connaissons : présenter des vins plus typés….La reconnaissance de la typicité (formation spécifique de jurys…échantillons servant de référence…) permet de définir la conformité au type…(qui) implique la « réussite aux examens d’agrément », d’où la notion de recevabilité…Corrélativement, on doit souhaiter que se développe de plus en plus dans la mise au point des itinéraires techniques, tant pour la vigne que pour la vinification, une démarche visant à mieux typer les vins et à réduire l’hétérogénéité que leurs échantillons peuvent présenter autour du ou des types reconnus. »
Tout y est. Pourtant, J. Salette assortit bien ces propositions d’un paragraphe pour « encourager ce souci de bien adapter chacune des opérations de la vinification dans le souci de mieux faire ressortir des caractères originaux et représentatifs du terroir.. »précisant même à juste titre que « plus les potentialités du terroir sont élevées, et moins on identifie le cépage dans le vin produit ». Mais sa proposition de « typicité organoleptique expression du terroir » par « l’homogénéisation des itinéraires techniques » a aboutit à l’inverse de qu’il espérait peut-être, pour deux raisons :
– Premièrement, elle reposait sur des conceptions erronées du goût (voir plus haut) : il n’y a pas de jury « objectif ».
– Deuxièmement, la viticulture de volume avait pris le contrôle des AOC depuis les années 70. Les décrets d’AOC au moins depuis cette période, ont intégré une extension abusive des délimitations de terroirs. Ces mêmes décrets ont intégré simultanément, nécessairement, explicitement, les rendements de cette viticulture de volume, qui consacraient la rupture du vin d’avec le terroir, et explicitement (ou implicitement, car aucune de ces techniques ou pratiques n’ont été interdites pour les vins d’AOC) les moyens de cette viticulture de volume : l’utilisation massive des engrais, les clones productifs, l’abandon du travail du sol, la chaptalisation, l’osmose, etc..etc… : là est la réalité du contenu de la démarche technique visant à «réduire l’hétérogénéité ». Le résultat organoleptique, c’est que les critères de la « typicité organoleptique » ont été l’expression variétale et technologique des vins de volume , « typicité » décidée et utilisée par les jurys composés majoritairement…des producteurs de vins de volume…qui trouvent leurs vins forcément « bons », puisqu’ils le font…et qu’il peut leur assurer leurs revenus…La boucle a été ainsi bouclée… ainsi se sont créés les critères d’acceptation et de refus des vins dans les dégustations d’agrément.
Certes, on peut considérer que ces agréments ont permis l’amélioration de la qualité moyenne…des vins de volume…Mais surtout : le système d’agrément est devenu :
– un outil d’exclusion des vins différents, « atypiques » dont une partie sont tout simplement….des vins d’expression du terroir. Les «vins de table » reconnus par le marché à des prix élevés sont un sujet inépuisable de dérision internationale pour le système français d’AOC.
– Un outil de détournement de la démarche collective d’appellation au profit de stratégies de recherche de marchés pour des groupes particuliers, par des méthodes de concurrence déloyale, en attentant à la liberté d’entreprise :
Reprenons le texte de J. Salette : la motivation annoncée est bien commerciale, il s’agit d’aboutir à un goût homogène pour être identifiés et concurrentiels sur les marchés mondiaux. Or nous avons vu comment se définit ce « goût » : par le rapport de force dans le syndicat d’appellation. Les producteurs ayant le rapport de force imposent de fait leurs vins comme la référence dans la dégustation d’agrément, en font la référence gustative de l’appellation sur le marché, acceptent les vins qui y ressemblent, nécessairement majoritaires étant donné l’homogénéisation relative des itinéraires techniques des vins de volume, éliminent les vins différents, nécessairement minoritaires, étant donné le rapport « vin de volumes/vins de terroir ». Nous sommes là dans la concurrence déloyale, l’atteinte à la liberté d’entreprise.
– Un outil totalement arbitraire, sans bases juridiques sérieuses :
– N. Olszak (doyen honoraire de la Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion Université Robert Schuman Strasbourg) : « l’objet de l’examen organoleptique n’est pas fixé avec précision par les textes » (Dalloz oct 2003 AOC et Indications de provenance p25). Imaginez un système où vous devez soumettre le résultat d’un an de production, (bien plus, en réalité), dont dépend la vie de votre entreprise, à un jury secret, composé en partie de ce qu’il faut bien appeler vos concurrents, dont vous ne connaissez pas les critères d’appréciation, qui peuvent vous refuser le droit de revendiquer l’AOC –devenue pour l’instant le label indispensable pour la commercialisation de toute une récolte. Le vin refusé peut être représenté deux fois. Très souvent, il y a incohérence entre le bulletin d’analyse et les motifs de refus par la dégustation. Au troisième refus, le seul recours, extrêmement lourd, long, incompatible avec les besoins de l’entreprise, est le Tribunal administratif. Nous sommes là dans un système où règne l’arbitraire le plus total.
– Un outil reposant sur une impasse scientifique, au service d’intérêts particuliers : implicitement, la constitution des jurys repose sur la conception selon laquelle le goût est objectivable, et qu’on peut donc constituer des jurys « objectifs, neutres, indépendants ». Or, des travaux scientifiques les plus récents cités plus haut au simple bon sens (« à chacun son cochon de goût ») tout prouve que cela n’existe pas. Les jurys d’experts ne sont pas «objectifs » (voir Dominique Valentin, colloque de Banyuls, Gil Morrot CNRS), donc sélectionner un jury d’experts, c’est déjà sélectionner un type de vin, donc en exclure d’autres.
Plus grave encore : les experts, les vignerons, les «porteurs de mémoire » NE SONT PAS REPRESENTATIFS DU MARCHE DANS SON ENSEMBLE.
Dominique Valentin, colloque de Banyuls : « Il n’existe donc pas de lien d’évidence entre l’opinion d’un panel d’experts et la perception des consommateurs finaux. »
Marc Danzart, statisticien spécialiste de l’analyse sensorielle et de l’industrie agroalimentaire, à ce même colloque de Banyuls, l’a expliqué, « tordant le coup à deux idées reçues. L’idée du produit préféré d’abord : 75 % des consommateurs font partie des «éclectiques» qui attribuent les meilleures notes à plusieurs produits à la fois. L’idée du produit détesté ensuite : les produits qui obtiennent les plus mauvaises notes en moyenne ne sont pas les moins aimés partout le monde, mais plutôt ceux qui sont préférés par une minorité de consommateurs. Conclusion : plutôt que de rechercher un produit idéal mythique démenti par les statistiques et générateur d’exclusions, orientons-nous vers une palette de produits qui donnent des réponses adaptées aux différentes typologies de consommateurs. »
Ce qui signifie que la recherche d’un goût homogène pour un produit, d’un « profil organoleptique », ne relève pas de la démarche d’appellation, que ce soit dans le cas de ce qui devrait devenir, du point de vue de la législation européenne, les appellations d’origine, de terroir (AOP), ou les appellations de provenance (IGP). Dans les deux cas, un ODG qui formerait des jurys d’agrément et leur donnerait un profil organoleptique de référence à faire respecter ne ferait que camoufler une démarche d’intérêts privés de recherche de marchés ciblés voulant s’imposer aux autres opérateurs en éliminant la concurrence, derrière une soi-disant éthique d’intérêt collectif. Il y a confusion totale entre le privé et le public, au nom du collectif d’appellation.
Il est intéressant d’ailleurs de consulter, sur ces questions, un travail INRA INAO d’avril 2006, « Terroir et typicité », qui tout en utilisant le mot et le concept de « typicité » remet sur la sellette son acception organoleptique pour ce qui est des produits de terroir (« vouloir à tout prix établir une frontière à partir d’un espace sensoriel pour juger de l’appartenance à un type et vouloir exclure la possibilité de superposition entre des types voisins semble dénué de sens pour des produits de terroir »).
4. PROFIL ORGANOLEPTIQUE D’UN VIN DE « PROVENANCE » (IGP)
Par définition, les IGP représentent de forts potentiels de volumes par régions. Ces volumes seront nécessairement portés par de nombreux domaines, de nombreuses entreprises, petites et grandes. Du point de vue des producteurs, ce secteur revendique plus de liberté d’entreprise, des règles de production à la commercialisation. Qui peut prétendre fixer un goût de référence pour l’ensemble des produits de la région, alors que nous allons être dans une dynamique de diversité de production, de recherche de marchés dans des régions et pays différents, de différenciation d’entreprise indispensable par un travail de marketing propre à chacun ? Et cela au moment où l’industrie agroalimentaire elle-même cherche tous les moyens possibles de proposer des produits différenciés aux consommateurs, seule façon de survivre dans la concurrence ? ? Les règles collectives définissant une IGP ne peuvent en aucun cas porter sur UN goût du vin. Qui pense imposer la même étiquette à tous les opérateurs d’une IGP ?
La meilleure preuve que cette conception de profil organoleptique d’appellation est inepte, c’est…son échec commercial. Car ce concept de typicité a de fait été mis en application dans les appellations depuis plus de vingt ans. S’il avait marché, cela se saurait, on ne parlerait pas de crise du vin et de réforme des AOC….Les AOC ne seraient pas en train d’exploser dans tous les sens…
Par contre, dans le cadre des IGP, pour une stratégie de marchés, c’est une démarche d’entreprise tout à fait légitime, et là le travail privé, individuel ou en alliance choisie entre plusieurs producteurs, avec des spécialistes, experts, dans le domaine sensoriel comme dans la communication, en lien avec les courtiers, le négoce, a toute sa légitimité. C’est par exemple ce qu’a fait un groupement de vignerons allemands du Pfalz, DC Pfalz. On est là dans un collectif privé, pas dans un collectif public.
5. PROFIL ORGANOLEPTIQUE DES VINS D’EXPRESSION DU TERROIR (A.OrigineP.)
A la différence de la démarche de vins d’IGP, les vins d’AOP doivent avant tout porter l’expression de terroirs déterminés, reconnus comme ayant cette capacité d’exprimer une identité forte, unique, irreproductible. Il ne s’agit pas de plaire à tout le monde dans un jury…Alain Berger, directeur de l’INAO, s’exprimait ainsi dans « Que Choisir en 1995 : « Un vrai vin d’AOC est un produit qu’on peut ne pas aimer…C’est le contraire des vins du Nouveau Monde où on neutralise le terroir et où l’œnologie prime ». Il est vrai que ses déclarations dans Que Choisir lui coûtèrent, à l’époque, ..son poste.. ! De plus, à partir du moment où l’on ne veut plus neutraliser le terroir, on se trouve, dans une AOC donnée, confronté à une triple variabilité, qui rend la recherche d’une « typicité organoleptique » stable plutôt délicate ! –les variables « terroir » au sein même de la délimitation –la variable millésime – la variable « style du vigneron » (C. Asselin, INRA Angers).
C’est donc avant tout dans le cahier des charges des moyens que l’ODG de l’AOP doit inscrire cette exigence, dans la définition des grandes lignes éthiques et scientifiques (agro/pédo/oeno..) des exigences à la vigne et à la cave pour expérimenter progressivement et collectivement les moyens techniques de révélation du terroir à mettre en œuvre. Sur le plan organoleptique, on peut déjà penser que le terroir, ce n’est pas l’odeur de genêt dans le sauvignon, pas le poivron vert dans le cabernet, pas les arômes terpéniques dans le riesling, etc…mais…que vont en penser les « porteurs de (quelle) mémoire » ? Quel « expert » va avoir le droit d’exclure ce Sancerre de l’AOP parce qu’il percevra, lui …. 52% ? de genêt ? Sans compter que si ce « représentant des consommateurs » a été baigné dans ses vacances enfantines heureuses chez ses grands parents dans les Vosges par l’odeur des aiguilles de pin, il trouvera immanquablement le riesling terpénique… « bon » ! La seule façon de travailler collectivement et positivement, sans déclencher la guerre entre vignerons, c’est de partir des moyens, pas d’un résultat subjectif, aléatoire, et encore largement inconnu.
6. POUR REHABILITER LA DEGUSTATION DANS LA CONSTRUCTION COLLECTIVE DE L’AOC
A la vérité, la dégustation d’agrément telle qu’elle était jusqu’à présent organisée est aujourd’hui largement discréditée, que ce soit chez les vignerons ou auprès des consommateurs. Maintenir les bases de principe et le fonctionnement actuel de la dégustation d’agrément reviendrait donc à bloquer toute mise en Å“uvre d’une réforme des AOC. La dégustation ne doit plus être la dictature du goût au mieux par la moyenne, au pire par le nivellement par le bas, le gendarme du goût, l’outil de maintien de son monopole par une partie de la profession, l’instrument d’élimination de la dynamique du vignoble. Dans cette situation évolutive, et eu égards à nos connaissances scientifiques, la dégustation ne peut être aujourd’hui le vrai moyen de la vérification du respect de l’expression du terroir. La dégustation d’agrément doit cesser de constituer pour le producteur anonyme une sanction positive ou négative de son travail préalable. Reste la question du pouvoir d’élimination par la dégustation d’agrément des vins dits « tarés », « à défauts ». Cette question n’est pas si simple qu’il en paraît, car on a vu dans de nombreuses occasions le caractère très subjectif de l’appréciation du « défaut », de la « tare » : précisément pour les raisons fondamentales exposées précédemment quand à la neurobiologie et la culture du goût. Cette question doit donc faire l’objet d’un réexamen complet, en croisant tous les facteurs : culturels, analytiques, organoleptiques, commerciaux…Et dans tous les cas, il doit pouvoir une possibilité de recours transparent, contradictoire.
Car il ne faut jamais oublier l’origine de la dégustation des vins : c’est historiquement d’abord et avant tout une affaire privée entre le vendeur et l’acheteur : « Pour le vin, on s’en tenait finalement au goût de l’acheteur dont la souveraineté avait été consacrée en 1804 par le remarquable article 1587 du code civil : « à l’égard du vin, de l’huile, et des autres choses que l’on est dans l’usage de goûter avant d’en faire l’achat, il n’y a point de vente tant que l’acheteur ne les a pas goûtés et agréés. » (Norbert Olszak, Droit des appellations d’origine et indications de provenance, p.6,Tec&Doc 2001).
Il nous semblerait totalement abusif de considérer que l’avancée que constitue le caractère collectif de l’AOC implique…la collectivisation des acheteurs, et de leurs goûts !
Le vrai enjeu est donc la réhabilitation de cette dégustation. La dégustation par le collectif vigneron AOC peut et doit devenir avant tout le creuset d’une culture en construction de vignerons dans leur AOC, et un lieu d’échange, de comparaison des répercussions sur les goûts des vins des différences d’itinéraires techniques visant à l’expression des terroirs, d’expérimentation, en liaison avec les scientifiques, de nouvelles pratiques de production, d’étude sur l’effet des pratiques évolutives des vignerons sur les expressions des terroirs, et donc aussi un outil contribuant à la redélimitation nécessaire de ces terroirs.
POUR CONCLURE
Il est d’autant plus indispensable de revenir à la raison concernant la dégustation d’agrément que si on peut dire que la viticulture peut se diviser en viticulture de volume et viticulture de terroir, cette frontière ne peut être définie comme celle d’une guerre civile entre vignerons. Peu de domaines peuvent asseoir leur rentabilité sur ce créneau étroit et pas toujours très rentable des vins de terroir. La plupart des domaines produisant des vins de terroir ont aussi une production de vins de volume à rotation plus rapide, qui assure les bases économiques de l’exploitation.
Ces dernières années, nombreux sont les vignerons qui il y a encore dix ans soutenaient farouchement la typicité dans les dégustations d’agrément, pensant que c’était la voie de la qualité, et qui se sont retrouvés Gros Jean comme devant le jour où sur leur cuvée bichonnée amoureusement « terroir », petits rendements, pas de chaptalisation, baisse du soufre ajouté…s’est retrouvée condamnée par le tribunal de l’agrément… et ont alors connu l’horreur du sentiment de se retrouver face à un mur d’injustice incompréhensible…et ont alors paradoxalement recouru aux « arrangements » et autres négociations et compromis discrets pour parvenir à vendre leur super cuvée sous l’étiquette d’AOC qu’ils estimaient à juste titre mériter….
Le vrai intérêt de TOUTE la viticulture, c’est de transférer l’exigence sur l’amont, sur les conditions de production et leurs contrôles, en distinguant les règles de la viticulture de volume et celles de la viticulture de terroir, et de libérer les goûts des vins….
Enfin, un dernier problème doit être posé : le droit de chaque individu à son propre goût est une question à réfléchir. A partir du moment où nos connaissances permettent de comprendre à quel point le goût est un mixte de biologie, d’histoire personnelle et collective, de nature et de culture, il devient évident que personne n’a le droit d’imposer son propre goût à autrui, qu’on entre là dans le domaine du droit de la personne. Qu’une instance comme un ODG revendique le droit d’imposer à des producteurs comme à des consommateurs la dictature du goût unique devrait pouvoir être contestable, à tous niveaux.
LA DEGUSTATION DE TYPICITE DANS L’HISTOIRE DES AOC EST UN DERAPAGE CATASTROPHIQUE BASE SUR UNE TENTATIVE DE COMMUNICATION ET DE COMMERCIALISATION DES VINS DE VOLUME APRES LEUR PRISE DE POUVOIR DANS LES AOC AU DETRIMENT DES VINS DE TERROIR.
ELLE A CONSACRE LA RUPTURE DES VINS D’AOC D’AVEC LE TERROIR, ELLE A ABOUTIT A FAIRE D’UNE EXPRESSION VARIETALE ET TECHNOLOGIQUE LIMITEE A UN TYPE LA REFERENCE GUSTATIVE DANS LES VINS.
ELLE N’A AUCUN FONDEMENT SCIENTIFIQUE, ETHIQUE, CULTUREL, JURIDIQUE
ELLE A ABOUTIT A UN DESASTRE HUMAIN ET COMMERCIAL
ELLE EST UNE ATTEINTE AUX LIBERTES FONDAMENTALES.
LA VITICULTURE DE VOLUME ET LA VITICULTURE DE TERROIR ONT CHACUNE LEUR PLACE INDISPENSABLE DANS LA PRODUCTION ET L’OFFRE DES VINS FRANÇAIS. IL FAUT CESSER DE VOULOIR ETOUFFER, ENTRE AUTRES PAR LA DEGUSTATION D’AGREMENT, LA VITICULTURE DE TERROIR. A CHAQUE SEGMENT SA LOGIQUE.
LA FIXATION D’UN PROFIL ORGANOLEPTIQUE DE REFERENCE OBLIGATOIRE PAR APPELLATION POUR LES VINS DE VOLUME EST UNE ERREUR PROFONDE QUANT A LA STRATEGIE DE COMMERCIALISATION. CET OBJECTIF NE RESSORT QUE D’UNE STRATEGIE D’ENTREPRISE.
LES VIGNERONS, TOUS SEGMENTS CONFONDUS, TOUS LES OPERATEURS IMPLIQUES DANS LA REFORME, LES CIRCUITS DE COMMERCIALISATION, LES CONSOMMATEURS, DOIVENT REFUSER LA DEGUSTATION D’APPELLATION DE « PROFIL ORGANOLEPTIQUE », TOUT FAIRE POUR QU’ELLE SOIT EXCLUE DE LA REFORME DES AOC EN FRANCE COMME EN EUROPE.
PAR CONTRE LA DEGUSTATION DES VINS D’AOC PAR LES COLLECTIFS VIGNERONS EST INDISPENSABLE. ECHANGES D’EVALUATIONS GUSTATIVES, COMPARAISONS, EXPERIMENTATIONS DE DIFFERENTES TECHNIQUES ET DE LEUR IMPACT SUR L’EXPRESSION DU TERROIR : LA DEGUSTATION DOIT AVANT TOUT PARTICIPER DU CREUSET DE LA CULTURE COLLECTIVE DU TERROIR DES VIGNERONS D’AOC, ET DE LA CONSTRUCTION DE SON IDENTITE.
DANS LE DOMAINE DE LA DEGUSTATION, RIEN NE DOIT SE FAIRE SANS UN SERIEUX DEBAT SCIENTIFIQUE, CULTUREL, COMMERCIAL.
SEVE, AOUT 2007