La dernière visite remontait à Octobre 2007, à l’époque j’avais envoyé mon ami Eric Sapet à un festival de la truffe d’Istrie en Croatie, et à son retour il avait préparé un repas convivial inspiré de la truffe blanche dans sa nouvelle Petite Maison. Depuis, j’ai essayé plusieurs fois de réserver, mission impossible ! Pas étonnant, quand une maison sert une cuisine de passion à prix doux, le succès est assuré.
Ce samedi, j’ai eu la chance de trouver une table pour 4, avec nos amis Marie Rose et Michael. Et nous voilà partis pour le Luberon, dans ce village qui doit être un des plus beaux de Provence, avec ses lavoirs, sa tour de l’horloge, ses remparts, et son immense bassin de l’étang entouré de vieux platanes. C’est à côté de cette piscine que se trouve La Petite Maison de Cucuron (Place de l’Etang, Cucuron, 04 90 68 21 99). Le samedi à midi Eric anime des cours de cuisine au rez-de-chaussée, nous arrivons pendant la préparation d’une crêpe soufflée.
La maison est vraiment petite, la cuisine fait 4m²… Si dans les vignes les rendements doivent rester faibles, en cuisine ça doit être le contraire, puisque quatre centiares ici suffisent pour régaler 40 convives d’une cuisine honnête, goûteuse, créative et joviale comme son auteur, les cuissons toujours parfaites, les plats bien soignés, le service de Patrick et Camille amical et compétent.
Je consulte la liste des vins en dégustant un amuse bouche étonnant, un velouté de carottes pigmenté au curcuma et aromatisé à l’huile de pistache avec des cebettes. La sélection de vins est très soignée et les prix sont raisonnables, enfin un endroit où on peut se régaler. Un aperçu : en Champagne, Roederer, Ruinart et notre ami Francis Boulard ; puis Dagueneau, Dauvissat, Raveneau, Henri Milan, le Domaine de la Bongran de Jean Thevenet, Beaucastel, Trevallon, La Janasse, Pibarnon, le Mas Neuf de Luc Baudet, Gauby. Aussi pas mal de vins locaux que je serai curieux de goûter, par exemple cette bouteille de « Hocus Pocus » que j’ai vu sortir de la cave, apparemment une micro-cuvée du coin.
Notre choix est le Clos Syrah Léone 2002 du Domaine Peyre-Rose de Marlène Soria, ce domaine que nous pouvons facilement classer parmi les grands noms du Midi (dans la catégorie de Clos des Fées et Grange des Pères). Cette syrah puissante et superbement équilibrée a continué à évoluer pendant deux heures, initialement sur le fruit noir puis progressivement allant vers une explosion d’épices, avec une belle rondeur. A 80€, nous sommes à peine au dessus du prix caviste, sans compter le vieillissement. Vive la démocratisation du vin.
Le Menu de la Maison pour 40€ (tartare de saumon, souris d’agneau, ravioli coulant à la noix de coco) aurait fait l’affaire, mais n’étant pas fans de la noix de coco nous avons pensé au Menu de Saison (60€), qui nous semblait un peu copieux… Pas de problème, on supprime le fromage et la lotte, et nous voilà partis sur un Menu de Saison Light à seulement 40€. A ce prix, nous sommes sur un rapport qualité prix aligné avec mes découvertes récentes à Barcelone, je dirais même impensable pour un établissement étoilé (Eric vient de décrocher son premier macaron Michelin !).
Nous commençons avec les premières asperges de pays, les dernières truffes melanosporum… œuf au plat et jus de poulet acidulé, une rencontre réussie entre hiver et printemps sous la médiation de l’œuf et le jus de poulet qui lient bien ensemble les saisons, le côté herbacé des asperges arrondi par l’onctuosité de l’œuf, ce dernier servant aussi pour transporter le parfum de truffe. Le vin, au début tout en puissance, n’a aucun problème de compatibilité avec les asperges, bien encadrées comme elles sont, le sous-bois domine sur l’asperge et trouve une bonne résonance dans la syrah.
Nous continuons avec la poitrine de pigeon rôtie, la cuisse en ballottine au foie gras, navets nouveaux confits à la coriandre, petit chou farci de béatilles, simplement superbe. Les navets, surprenants, longuement confits et réduits à deux concentrés de navet de la forme et de la couleur de petits cannelés, sont un délice. Le chou farci n’a rien de trop fort, il crée le juste contraste de texture avec le pigeon très tendre sous une peau bien rôtie et croustillante. La cuisse au foie gras est magnifique – mais comment on fait pour désosser un objet si minuscule et le farcir de foie gras ? Le plat préféré de Catherine est le pigeon, elle me confirme que le pigeon d’Eric Sapet est au plus haut de son classement, comparable avec le pigeon de Fulvio Pierangelini au Gambero Rosso.
En dessert, tarte au chocolat et mandarine mi-confite, sorbet d’orange amère et tuile au grué de cacao. La tuile est craquante, le chocolat crémeux, la mandarine un peu trop présente mais c’est une question de goût personnel, le tout s’accompagne bien de deux verres partagés, un Porto LBV 2003 de Ramos Pinto et un vin de la DO Montilla Moriles, un Pedro Ximénez Dulce Viejo « 1927 » de Alvear. Deux styles différents, le Porto semblait vouloir un chocolat plus noir, je crois que le vin andalou allait mieux, avec ses notes de cacao et raisins secs.
Pour accompagner notre café virtuel, des mignardises. Une verrine de mousse à la mandarine, mais surtout un petit pot de panna cotta au caramel, une panna cotta comme il faut, pas comparables aux masses gélatineuses qui sont servies sous ce nom ailleurs.
Avec Eric Sapet nous sommes loin des verrines et mousses que l’on trouve partout maintenant (et pourtant, Eric dans une vie antérieure nous avait concocté des verrines fabuleuses), ici dominent le savoir faire qui ne connait pas les modes, les cuissons longues, la précision, les équilibres délicats, les dosages savants des épices, la fraicheur et la recherche d’ingrédients nobles de saison. Quand Eric nous demande si nous avons aimé, ce n’est pas une question banale, il veut vraiment savoir ce que le client pense. C’est trop bon Eric.
Les points forts : l’accueil, la convivialité, l’utilisation de produits locaux de grande qualité, la précision des cuissons, le choix des vins et leurs prix, l’environnement, la présence du patron.
Les points faibles : le fait que je ne peux pas aller si loin toutes les semaines.