Claude revenait des vignes de peautre sous les sources.
Visiblement en colère , tout ce qui se trouvait dans la trajectoire de son regard risquait gros.
” Bon, lui dit le dogue en souriant à ses côtés, ce n’est pas drôle de se faire contrôler mais ce n’est pas la mort ! ”
“Toi le Dogue ferme là hein, c’est pas l’ jour ! juste la veille de la récolte tu trouves que c’est vraiment le moment ? Les machines sont arrivées hier d’Espagne, les gars sont crevés, la campagne dans le Languedoc a été galère ! suis pas sur qu’ils vont tenir le coup, et les gars, et les machines ! Pas le temps de faire une maintenance correcte ! l’orage qui nous tourne autour depuis quinze jours ! la récolte qui menace de virer à tout moment et tu me dis que ce n’est pas la mort ?”
Le dernier mot claquait sec dans l’air ambiant déjà électrisé par la chaleur de cette fin d’été.
C’est ce moment que le contrôleur choisit pour entrer dans la pièce.
Homme de taille moyenne, assez jeune et d’allure sportive, la vitalité de sa jeunesse était contenue dans un costume serré sans cravate.
“Mlle Claude Girard-Poignant, je me présente, Maxime Pons, j’appartiens à la CCCN*, désolé de ne pas avoir pu vous prévenir avant, mais comme vous le savez le contrôle des rendements doit se faire de façon inopinée ! Donc me voilà , ne perdons pas de temps, j’ai ici le cadastre à jour de votre exploitation, vous avez donc toujours 300 hectares de vignes ? ”
“oui répondit Claude en réprimant un mouvement d’exaspération, mais dîtes vous croyez que le moment est bien venu pour nous casser les c…”
“TEMPS MORT !” Cria LeDogue quelques pas derrière qui s’attendait à quelque éclat. Bon, en même temps ça faisait dix ans qu’il connaissant Claude et son impétueux caractère, le surnom du Dogue il l’avait gagné en contenant les nombreuses colères de sa patronne.
“On y va ? ajouta le contrôleur en prenant tout de même un peu de distance, je dois rentrer avant la nuit ”
Claude s’engouffra dans le 4×4 comme on enfourche un cheval. Le contrôleur la suivit de près, LeDogue sauta, hilare, sur le pick-up.
Ils passèrent en revue les Ugni-Blanc, les Aramons qui étaient de nouveau plantés depuis les années 2010. Puis vinrent les counoises, les carignans et les syrah. L’exploitation de Claude comportait de nombreux cépages ce qui n’était pas fréquent depuis la grande réforme, le contrôleur lui en fit d’ailleurs la remarque : “Oui c’est pour s’adapter aux différents terroirs répondit Claude calmée dès qu’il s’agissait de parler viticulture, les terrains sont très différents chez moi, et puis c’est plus joli et moins monotone …”
” Bon, pourrions nous descendre et voir ces parcelles de plus près ? ”
Le 4×4 stoppa net devant de jeunes ugni-blanc. Le palissage ressemblait à une pergola aménagée pour les machines, l’espace entre les rangs était planté de phacélie et d’orge, les grappes longues et dorées semblaient plus nombreuses que les feuilles, de l’ensemble s’échappait une sensation colorée de fertilité et d’abondance. Le contrôleur semblait absent, presque déçu, belle récolte avança t’il ? Avez-vous le degré probable ? 12? ça ira, ça ira.
Pourrions nous voir les carignans ? rajouta t’il ? Claude souffla, les carignans se trouvaient à l’autre bout de la propriété…
Pour le coup le véhicule s’envola, rageur, et s’arrêta brutalement devant une parcelle aux feuilles déjà rougies. Les carignans étaient taillés en cordon de Royat double,, il était loin le temps des gobelets, mieux adapté à ce cépage ! Mais la réforme était passée par-là et…le contrôleur aussi. Ce dernier furetait autour des ceps, visiblement insatisfait, “bon bon “grommelait-il en surveillant Claude du coin de l’Å“il. Mais cette dernière était déjà ailleurs, elle pensait déjà l’organisation du lendemain. Des équipe venaient d’Espagne pour faire le travail le plus rapidement possible. Difficile en effet de trouver du personnel Français depuis une dizaine d’année. Les espagnols venaient en famille, enfin on ne leur posait pas de question, un seul d’entre eux se chargeait d’embaucher les autres et puis voilà . Ils descendaient en convoi de machine à vendanger, avec mécaniciens et cantines, en provoquant des embouteillages monstres malgré le peu de bagnole qui roulaient encore, ils vendangeaient en suivant la maturité des vignes depuis le bas du Languedoc jusqu’à la haute Provence.
“Vous m’avez parlé, dit Claude en sursautant ? ”
“Oui, quels sont les clones pour ce carignan ? ” demanda le contrôleur vexé.
” Oh! mais c’est un R140/OGM comme recommandé par les organismes officiel ” répondit la jeune fille comme une enfant qu’on accuse à tort d’avoir volé un pot de confiture clonée.
“bon bon, pourrais je voir les registres ? ”
la visite des registre sonnait souvent la fin du contrôle, donc pas question de retarder l’échéance, la voiture boueuse s’en retourna, toujours à vive allure, vers la vieille maison de maître.
Une heure après, quand même, le contrôleur toussa avant de prendre la parole, comme si la remarque à suivre revêtait une importance exceptionnelle :
“Hum, hum, si je récapitule, nous avons d’après vos prélèvements les récoltes suivantes :
pour ce qui est des Ugni-Blancs 85 hectares à 190 hectolitres à l’hectares. Les carignans, 50 hectares à 150 hectolitres à l’hectares, 80 hectares d’aramon à 200 hectolitres, 50 hectares de counoises à 200 hectolitres, et 35 hectares de syrah à … 90 hectolitres à l’hectares. Bon pour ce dernier ce n’est pas terrible, je ne fais pas de remarque pour cette fois, mais tachez quand même de faire un effort , tournez-vous vers la chambre de l’industrie et de l’agriculture pour faire mieux l’année prochaine. J’ai inspecté les installations, je n’y ai pas vu d’osmoseur, juste les machines autorisées depuis la réforme. Les jus sont bien dénaturés à leur arrivée dans les chais comme le veut la réglementation; que vous utilisiez de l’huile de colza ça vous regarde, mais enfin dîtes vous bien que l’année prochaine ce produit risque d’être interdit , vous fournissez bien l’alcool que le gouvernement espère pour faire tourner les usines encore en production et vous respectez la législation sur l’interdiction de l’élaboration de boissons alcoolisées. Tout cela m’a l’air en règle…en attendant…datez “1 août 2050” signez là , je vais pouvoir vous laisser travailler .
Boirez vous un verre d’eau ? demanda LeDogue qui se rappelait quelques éléments de politesse . Ce n’est pas de l’eau de source, rassurez-vous, c’est de la bouteille filtrée et stabilisée par ionisation, enfin comme chez vous j’imagine ?
“Oui soupira le Contrôleur, comme chez nous en ville, pourquoi, y en t’il d’autre ? fit-il ironique .
Les salutations furent courtes, un peu tendues. Claude tentait de se rattraper : “Vous savez, nous sommes tous un peu à cran en ce moment, mais la récolte c’est la récolte, s’cusez moi pour tout à l’heure”
“Pas grave répondit le contrôleur, je sais ce que c’est, ma famille était dans les céréales, du temps où il pleuvait encore, et …où il y avait des céréales, alors je crois que je comprends, au revoir, à bientôt peut-être ”
Quelques minutes plus tard, Claude leva son verre de vin rouge à l’attention de la voiture qui tournait au loin, et le frappa contre celui du dogue : ….à bientôt fit-elle, ironique .
Pp
*Compagnie des contrôles des carburants naturels
J’ai bien aimé cette lecture de mi-août, Philippe. Je viens de finir “Privo di titolo” de Andrea Camilleri, je trouve que ton post est tout à fait dans le style…
Amitiés