Le déclin de notre pouvoir d’achat en France se manifeste clairement dans la restauration – que peut faire notre monarque, sauf nous envoyer acheter de la brioche ? Dans un article récent j’écrivais du rapport qualité prix extraordinaire que l’on peut trouver dans une grande ville comme Barcelone, et je faisais allusion à la rareté des restaurants beaux, bons et assez bon marché de notre littoral Provençal, particulièrement touché par la crise du pouvoir d’achat. Sauf exceptions, à différence des régions voisines (en France, Italie et Espagne), notre littoral est condamné par son tourisme de masse à une offre quand même assez chère et limitée, répétitive, ennuyeuse, et à quelques rares établissements très chers et étoilés, faute de mieux, selon des critères nettement moins sévères que ceux du reste du pays.
Dimanche je décide avec ma famille de sortir pour une Saint Valentin décalée de quelques jours. J’avais entendu parler de la Villa Madie à Cassis (le site web semble paralysé), une joint venture de Jean Marc Banzo (Clos de la Violette, Aix, autre site web en panne) et Enrico Bernardo (meilleur sommelier du monde 2005) avec prétensions macaroniques. Au téléphone, on m’avertit que Banzo n’est pas toujours là (normal…), que Bernardo n’est plus là du tout, et que le menu est a 90€. Je ne peu pas m’empêcher de penser à la Catalogne : pour quelques euros de plus je peux manger chez El Bulli, et pour le prix de mon menu je peux régaler toute ma famille à Barcelone chez La Panxa del Bisbe.
J’aurais pu choisir Le Verger des Kouros (N97, Cuers, tel. 04 94 28 50 17), qui avec son menu unique gastronomique à 16€ le midi en semaine offre sans doute le meilleur rapport qualité prix de la région, mais la carte des vins est tellement insipide, et le dimanche j’ai envie de bon vin.
Il faut noter aussi qu’ un bon caviste est aussi rare dans notre région côtière qu’un bon restaurant… Je mentionne an passant la cave Santoro à Toulon (24 rue Gimelli, tel. 04 94 92 77 30). Depuis peu à Sanary nous avons un autre excellent caviste, Impression de Vin (12 av Gallieni, tel. 0494740276) de Fabrice Doneddu.
Fabrice m’avait mentionné qu’il participe dans la gestion de la cave d’un restaurant aux Sablettes, La Parenthèse (Esplanade Henri BÅ“uf, La Seyne-sur-Mer, tel. 04 94 94 92 34), je réserve donc. Agréable surprise, on y trouve des menus gastronomiques entre 28€ et 55€, et un choix intéressant de vins, surtout en Bourgogne – la liste n’est pas encore entièrement développée et on nous promet des nouveautés d’Alsace et Loire. Je remarque la présence de pas mal des domaines incontournables de Provence (Ott et compangie), avec un peu de courage on aurait pu les écarter, mais au moins il y avait les meilleurs de Bandol (les 3 T : Tempier, Terrebrune, Tour du Bon), La Suffrène etc.
Le service est très attentif et accueillant, on nous installe dans une niche et c’est parti avec une mise en bouche sous forme de nem aux crevettes et poulpes dans une sauce au soja, excellent début. Je laisse choisir le vin au sympathique propriétaire, qui recommande un Bourgogne AOC « mitoyen Meursault » de Claire Brussier-Lechenet, Les Clou Perrons 2004, 36€ au restaurant et 24€ chez le caviste. Voilà un bon début, des bouteilles vendues à table à un coefficient bien plus raisonnable que les taux d’usure normalement pratiqués sur le littoral ! Le bois est bien intégré malgré le jeune âge de la bouteille, une très bonne bouteille.
En général un italien évite de commander un risotto hors de ses frontières naturelles, mais je tente ce choix risqué et je ne suis pas déçu par le risotto de haddock fumé avec un Å“uf de caille, avec sa tranche de haddock bien croustillante. Le risotto est très savoureux avec un subtil gout du fumé, tellement bon que je ferme les yeux sur la cuisson du riz bien trop à la française… Le reste de la famille se régale d’un plat généreux de St Jacques avec une sorte de cole-slaw de céleri-rave acidulé et rafraichissant, et ne laissent aucune trace de sauce sur l’assiette.
Je continue l’aventure avec un autre choix insolite pour moi, une préparation de boudin noir et pommes enveloppée de lard qui perpétue le gout fumé du risotto tout en ajoutant des nouveaux équilibres, l’acidité subtile de la pomme fonctionnant de contrepoids à la texture onctueuse du boudin. Le reste de la table a choisi une côte de veau limousin cuite à la perfection avec un gratin de patate douce.
Pour terminer, je prends un sablé de chocolat et marmelade d’orange assez bon (mais trop cuit), puis je craque pour les canelés « façon profiteroles » dans leur sauce au chocolat de mes deux compagnes de table.
Pour accompagner le café (que je ne bois plus), des mignardises superbes, un canelé, un sablé léger et fondant, mais surtout une boule de sorbet aux fraises recouverte de chocolat blanc, vrai travail de virtuose, fantastique !
La Parenthèse est un local prometteur et accueillant, le service est parfait (mais attention aux cuissons), un oasis de créativité et goût entouré par le kitsch balnéaire des Sablettes, j’ai envie d’y retourner.