La semaine dernièe l’Union Européenne a publié le texte complet « Proposition de RÈGLEMENT DU CONSEIL portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements », cela avait été anoncé quelques jours plus tôt sur le site web de Agriculture et Developpement Rural de la Commission Européenne.
Cette nouvelle Organisation Commune du Marché (OCM) du vin entrainera l’abrogation de l’OCM courante, telle que définie dans le Reglement du Conseil (CE) n° 1493/1999 du 17 Mai 1999.
Les objectifs principaux sont :
– renforcer la compétitivité ;
– asseoir la réputation dont jouissent les vins de qualité de l’UE ;
– reconquérir les anciens marchés et en gagner de nouveaux ;
– établir des règles claires et simples ;
– préserver les meilleures traditions de la production vitivinicole européenne ;
– renforcer le tissu social dans de nombreuses zones rurales ;
– garantir que l’ensemble de la production respecte l’environnement.
Petit rappel : Règlement, Conseil et Commission
Avant de commencer, voici un petit rappel de trois concepts Européens qui pourraient aider à mieux comprendre le règlement proposé et ses effets.
Le Conseil de l’Union Européenne est une des deux institutions législatives de l’UE (l’autre est le Parlement), il est composé des ministres des états membres (actuellement 27), et la présidence est assumée tous les 6 mois par un état membre (actuellement le Portugal). En réalité il y a plusieurs Conseils, un pour chaque sujet ministériel, donc dans notre cas on parle du Conseil des ministres de l’agriculture. Le Conseil des chefs des états membres est nommé, avec un peu de confusion, Conseil Européen. Attention aussi à ne pas confondre le Conseil de l’Union Européenne avec le Conseil d’Europe, une organisation internationale de 47 états Européens (sur 49) traitant principalement de droits de l’homme, et actuellement présidé par la Russie.
La Commission Européenne est l’exécutif de l’UE, il propose les lois, y compris ce Règlement, et il est composé d’un commissaire par état membre (actuellement 27), et présidé depuis 2004 par José Manuel Barroso
Un Règlement est un acte législatif de l’Union Européenne qui devient immédiatement applicable comme loi simultanément dans tous les pays membres ; ainsi, il est prépondérant sur toute loi nationale. A ne pas confondre avec une Directive, qui nécessite des mesures d’application ou des lois dans les états membres. Un Règlement est donc l’acte institutionnel le plus puissant de l’Union Européenne. Les Règlements essentiels, comme l’OCM du vin discutée dans cet article, sont formulés par la Commission et adoptés par le Conseil, et on les nomme Règlement du Conseil.
Surproduction et marché libre
Un point clé de la nouvelle OCM sera l’introduction de règlements simplifiés avec moins de contraintes pour les producteurs plus compétitifs, avec l’abrogation du vieux système des droits de plantation, de manière telle que à partir du 1er janvier 2014 la plantation de vignes sera libre et chaque producteur sera responsable de sa décision de planter, selon sa capacité de vendre sa production.
La nouvelle OCM confronte aussi le problème de surproduction de vins de mauvaise qualité, en proposant « d’autres voies aux producteurs les moins compétitifs ». Les producteurs se verront attribuer des primes pour l’arrachage, avec un objectif de 200,000 hectares sur 5 ans ; les primes seront dégressives, €7174/ha pendant la première année (2009) et €2938/ha pour la cinquième et dernière année (2013), encourageant les producteurs à agir rapidement. Cette mesure n’a pas été bien accueillie par certains producteurs, mais pour la plupart ils n’ont pas compris que l’arrachage est volontaire, il n’y a aucune obligation.
Les mesures de gestion du marché actuellement en vigueur sous la PAC seront supprimées dès que ce nouveau règlement sera approuvé fin 2008, elles incluent donc : « la distillation de crise, les aides à la distillation des sous-produits, la production d’alcool de bouche, la distillation des vins issus de variétés à double classement ainsi que l’aide au stockage privé, les restitutions à l’exportation et l’aide au moût destiné à l’enrichissement du vin ».
Les économies ainsi réalisées permettront de créer un budget pour des mesures telles que « des nouvelles aides à la promotion dans les pays tiers…, la restructuration/reconversion des vignobles…, aides aux vendanges en vert…, et nouvelles mesures de gestion des crises ». Le terme « vendange en vert » m’avait frappé, cela normalement se réfère à une technique qui consiste à éliminer une partie des raisins tôt dans la saison productive afin de réduire les rendements et améliorer la qualité des raisins récoltés, mais dans ce Règlement il s’agit d’une définition bien plus radicale (voir Article 11), c’est à dire « la destruction totale ou la suppression des grappes de raisins encore immatures de manière à réduire à zéro la production de la parcelle concernée », en autres mots, on se fait payer pour la destruction de la récolte ! Si les autres mesures semblent louables, celle-ci semble aussi inefficace que les mesures actuelles qui seront bientôt abrogées.
En outre, des mesures de développement rural sont introduites, afin « d’aider l’installation des jeunes agriculteurs et les investissements en faveur d’équipements techniques et d’améliorations portant sur la commercialisation, la formation professionnelle, l’aide à l’information et à la promotion, les aides agro-environnementales (pour couvrir les frais supplémentaires et les pertes de revenus découlant de la création et de l’entretien de paysages viticoles ou à valeur culturelle), et la retraite anticipée » à accorder aux exploitants qui décident de transférer leur exploitation à d’autres exploitants.
Une redéfinition légale du vin
Le règlement proposé donne une nouvelle définition légale du vin, et des procédures et substances autorisée pour faire du vin. L’introduction d’une nouvelle OCM aurait été une excellente occasion pour redéfinir le vin et pour restreindre les pratiques œnologiques et traitements autorisés, en réduisant ou en éliminant les traitements lourds employés pour « corriger » des vins défectueux, avec le maintien des pratiques qui apportent une vrai amélioration ou une aide à la bonne conservation du vin.
L’Annexe IV du règlement proposé commence avec une excellente définition du vin : « On entend par «vin» le produit obtenu exclusivement par la fermentation alcoolique, totale ou partielle, de raisins frais ». Mais à partir de cette bonne base on autorise ensuite toutes sortes de traitements, avec en plus des échappatoires pas très claires.
Ainsi le préambule de ce règlement mentionne
« Une meilleure adaptabilité des pratiques œnologiques grâce:
– au transfert à la Commission de la tâche, jusqu’alors dévolue au Conseil, d’approuver les nouvelles pratiques œnologiques ou de modifier celles qui existent, et en particulier de prendre en charge l’acquis, sauf en ce qui concerne l’enrichissement et l’acidification,
– à l’évaluation par la Commission des pratiques œnologiques adoptées par l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), et à leur incorporation ultérieure dans un règlement de la Commission,
– à l’autorisation d’utiliser dans l’Union européenne des pratiques œnologiques déjà approuvées au niveau international pour l’élaboration de vins à exporter vers les destinations concernées,
– à la suppression de l’exigence relative au titre alcoométrique naturel minimal des vins. »
Le premier de ces principes est formellement exprimés dans le paragraphe 19 des considérations initiales du Règlement : « Pour des raisons de souplesse d’action, il convient que la Commission assume la charge de l’actualisation désdîtes [sic] pratiques et de l’approbation de nouvelles pratiques, sauf en ce qui concerne les questions politiquement sensibles de l’enrichissement et de l’acidification, pour lesquelles il convient que le Conseil conserve toute compétence en matière de modifications. » Dommage que dans l’Article 23 on ne mentionne pas explicitement à quel organisme les compétences sont conférées, dans un cas au Conseil de l’Union Européenne, dans l’autre à la Commission Européenne : « Sauf dans le cas des pratiques œnologiques liées à l’enrichissement, à l’acidification et à la désacidification qui sont énumérées à l’annexe V et des restrictions énumérées à l’annexe VI, l’autorisation des pratiques œnologiques et des restrictions en rapport avec l’élaboration et la conservation des produits relevant du présent règlement est décidée conformément à la procédure… ».
Il est difficile de comprendre pourquoi les pratiques sous la responsabilité du Conseil sont politiquement sensibles, tandis que les autres ne le seraient pas. Vrai, les nombreux produits et traitements autorisés par l’OIV sont peut-être plus sensibles du point de vue de la santé que de la politique. Mais si l’objectif est de « asseoir la réputation dont jouissent les vins de qualité de l’UE », il serait paradoxal que l’organe le plus souverain, le Conseil, soit chargé d’entériner des pratiques permettant de corriger des vins défectueux ou déséquilibrés, puisque les vins de qualité faits avec des raisins mûrs et sains n’ont pas besoin d’acidification ou d’enrichissement, et les vins inférieurs ne s’améliorent pas avec de tels traitements.
Selon le paragraphe 20 des considérations initiales du Règlement, « il convient que l’augmentation du titre alcoométrique des vins soit soumise à certaines limites et s’effectue, là où elle est pratiquée, par adjonction au vin de moût de raisin concentré et rectifié. Il convient de ne plus autoriser l’adjonction au vin de saccharose ». Les raisins de qualité n’ont jamais besoin d’enrichissement, cet enrichissement n’améliore que la teneur an alcool, et aujourd’hui un taux d’alcool élevé n’est ni une caractéristique désirable ni une mesure de la qualité du vin. L’abolition de l’utilisation du sucre pourrait sembler un pas dans la bonne direction, mais l’annonce de cette abolition est suivie par une incitation à enrichir au mout concentré rectifié (MCR) ou par osmose inverse (voir Annexe V) ; il n’est pas clair que le MCR ou l’osmose inverse soient des alternatives de qualité par rapport au sucre. Le MCR est produit par traitement de mouts de raisins inutilisables pour faire des vins de qualité, en utilisant des résines à échange ionique – des produits chimiques à base de polystyrène ayant un impact sur l’environnement et nécessitant un traitement ultérieur. L’Italie, qui est le plus grand producteur de MCR, reçoit des fortes subventions de l’UE pour les produire, mais ces aides seront supprimées par le nouveau règlement (voilà pourquoi la question est politiquement sensible !). Certains argumentent que le MCR est meilleur parce qu’il contient des sucres de raisins et non pas du saccharose, mais en effet le MCR contient des impuretés qui peuvent altérer le gout d’un vin. En tous cas la fermentation transforme les deux sucres en alcool éthylique.
Toute forme d’enrichissement est une tricherie qui permet aux producteurs d’atteindre les plus hauts rendements possibles, contribuant ainsi à ce même surplus de vin que l’UE essaye de supprimer. Ainsi l’enrichissement, au sucre ou au MCR, est en même temps une fraude commerciale, au sens qu’il donne aux producteurs qui l’utilisent un avantage déloyal par rapport à ceux qui font du vin pur, et une fraude au consommateur qui achète un vin enrichi sans le savoir (il n’y a aucune mention des ingrédients sur l’étiquette). L’osmose inverse est une forme encore plus attractive de tricherie, puisque son utilisation reste indétectable. En soumettant des mouts à des pressions extrêmes, elle extrait les molécules d’eau à travers une membrane spéciale ; ainsi on concentre le sucre, mais aussi l’acidité (mais légalement il est interdit d’augmenter en même temps la concentration de sucre et d’acide, on permet l’une ou l’autre pratique !). Puisque les vins qui nécessitent ces « corrections » peuvent présenter souvent plusieurs défauts (dilution, manque d’équilibre, aromes désagréables, gouts amers), tous ces défauts seront aussi concentrés par l’osmose inverse.
Dans le Règlement actuel des douzaines de substances et procédures sont autorisées, mais au moins elles sont toutes répertoriées et définies (voir Annexes IV et V du Règlement 1493/1999, qui sera abrogé en 2008). Dans ce Règlement proposé, les pratiques œnologiques sont définies de manière floue, il n’y a aucune liste des pratiques autorisées, mais seulement des vagues mentions de décisions qui seront prises sur la base des règles de l’OIV (voir Code International des Pratiques Œnologiques et Codex Œnologique International), une très longue liste similaire au Règlement actuel permettant l’utilisation de plusieurs substances et pratiques. L’Article 21 du Règlement proposé mentionne que « seules les pratiques œnologiques autorisées par la législation communautaire » sont autorisées. Le préambule de cette proposition de Règlement fait référence « à l’évaluation par la Commission des pratiques œnologiques adoptées par… (l’OIV), et à leur incorporation ultérieure dans un règlement de la Commission », mais aucun article ne mentionne la nécessité de formuler ce nouveau Règlement sur les pratiques œnologiques avant l’adoption de cette proposition (à défaut, ce Règlement serait incomplet).
L’Article 24 sur les critères d’autorisation déclare que « Lorsqu’elle autorise des pratiques œnologiques conformément à la procédure …, la Commission:
a) se fonde sur les pratiques œnologiques reconnues par l’OIV ainsi que sur les résultats de l’utilisation expérimentale des pratiques œnologiques non encore autorisées;
b) prend en compte la question de la protection de la santé publique;
c) prend en compte les risques éventuels que le consommateur soit induit en erreur…;
d) veille à ce que soient préservées les caractéristiques naturelles et essentielles du vin et à ce que la composition du produit concerné ne subisse aucune modification importante;
e) veille à garantir un niveau minimal acceptable de protection de l’environnement;
f) observe les règles générales en matière de pratiques œnologiques et de restrictions qui sont établies respectivement aux annexes III et IV. »
Je note en passant que les numéros des Annexes sont erronés (lire Annexes V et VI au lieu de III et IV). Mais le Règlement proposé donc n’intègre pas les règles de l’OIV, et se limite donc à baser ses décisions sur les règles de l’OIV, tout en prévoyant l’autorisation d’autres pratiques. On pourrait imaginer que la Commission décide sur des pratiques plus restrictives, mais en effet la Commission peut décider ce qu’elle veut (lire plus loin sur les pratiques exceptionnelles autorisées pour les vins exportés). J’attire l’attention sur le « niveau minimal acceptable de protection de l’environnement » – ne serait-il pas mieux de parler de « niveau satisfaisant de protection de l’environnement » ?
Les seules restrictions sur la production de vin définies par le Règlement proposé sont donc la définition légale du vin en Annexe IV, les règles sur l’enrichissement, l’acidification et la désacidification en Annexe V, et les restrictions en Annexe VI sur l’ajout d’eau ou d’alcool. Je note aussi que les niveaux minima d’alcool définis en Annexe IV semblent contredire le préambule qui mentionne « la suppression de l’exigence relative au titre alcoométrique naturel minimal des vins ».
Un autre sujet très gênant, c’est qu’il semble qu’il y ait une échappatoire dans ce Règlement permettant de se passer des règles communautaires pour la production de vins pour les marchés d’exportation (hors EU, on présume). Le Règlement proposé semble laisser les accords internationaux prévaloir sur les normes de l’UE, permettant aux producteurs d’utiliser des pratiques normalement interdites dans l’UE mais applicables pour l’export vers des pays autorisant ces pratiques. Ceci est confirmé par le paragraphe 22 des considérations initiales du Règlement : « Afin de se conformer aux normes internationales en vigueur dans le domaine, il convient que la Commission s’appuie de manière générale sur les pratiques œnologiques approuvées par ( l’OIV). Pour que les producteurs communautaires ne soient pas handicapés sur les marchés internationaux, il convient que lesdites normes s’appliquent également aux vins communautaires destinés à l’exportation, indépendamment des règles plus restrictives susceptibles d’être applicables dans la Communauté. ». L’Article 21 confirme : « dans le cas des produits relevant du présent règlement qui sont élaborés en vue de l’exportation, les pratiques œnologiques et les restrictions applicables sont celles qui sont reconnues par (l’OIV) et non les pratiques œnologiques et les restrictions autorisées par la Communauté ». Cela semble établir deux mesures, permettant de déroger aux préoccupations et aux exigences de santé des consommateurs Européens afin d’aider les producteurs Européens dans leur commerce extérieur. Dans un monde globalisé, comment assurer que ces produits ne seront pas réintroduits sur les marchés de l’UE ? Surtout, en quelle manière l’exportation de vins potentiellement non-conformes contribue à des objectifs tels que « asseoir la réputation dont jouissent les vins de qualité de l’Union, … établir des règles claires et simples » ?
La classification et l’étiquetage des vins de l’Union Européenne
La plupart des consommateurs, aussi bien dans des pays qui traditionnellement consomment du vin que dans les marchés émergents, ne peuvent qu’éprouver un sentiment de confusion à propos des étiquettes de nos vins Européens. Chaque pays a un système différent et très compliqué pour classer ses vins, et malgré tout l’information sur l’étiquette il n’y a aucune garantie sur la qualité du vin. C’est assez normal pour un consommateur d’acheter, par exemple, un vin d’Appellation d’Origine Contrôlée, et puis découvrir que le vin n’est pas bon, ou bien qu’il n’est pas aussi bon qu’un autre vin frappé d’une classification « inférieure » (ou pire, qu’un vin du nouveau monde !). Un changement radical serait nécessaire afin de rendre les vins de l’UE plus accessibles, tout en préservant l’identification d’origine des meilleurs terroirs. Pour commencer, on pourrait limiter le nombre d’appellations de qualité ; par exemple l’Allemagne compte 2600 Einzellage (villages classés), dont seulement quelques centaines sont reconnaissables comme villages de qualité et méritent la mention sur l’étiquette. Dans le système actuel les vins AOP représenteront un pourcentage élevé de la production totale, quand en fait la catégorie plus haute de vins de qualité devrait représenter moins de 25% du total, si elle se veut crédible.
L’introduction d’une nouvelle OCM aurait pu être l’occasion pour redéfinir la carte des aires vinicoles d’Europe, et pour créer un système plus facile à comprendre et applicable à tous les pays producteurs avec des vraies garanties de qualité.
En effet la classification et l’étiquetage des vins et le concept d’indication d’origine géographique n’a été changé que dans les détails, remplaçant les notions actuelles de « vin de table avec indication géographique » (nos Vins de Pays) et les plus nobles « Vins de Qualité Produits en Régions Déterminées » (nos AOC) avec, prétendument, « des règles de classification et d’étiquetage du vin plus claires, plus cohérentes et par conséquent mieux axées sur le marché ». La nouvelle classification est basée sur l’idée de vins avec Indication Géographique (IG), incluant « deux sous-catégories, celle des vins avec indication géographique protégée (IGP) et celle des vins avec appellation d’origine protégée (AOP) ». L’article 27 définit un vin d’appellation d’origine comme un vin « dont la qualité et les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ». Ce qui me semble être une bonne définition de terroir, et en particulier de terroir interprété au sens large, au delà du sol et du climat d’un lieu et incorporant les « facteurs humains », dommage que le mot « terroir » n’est pas utilisé explicitement. Aux facteurs humains on aurait pu ajouter les « facteurs culturels », permettant d’étendre le sens de « terroir » pour inclure non seulement le style individuel d’un producteur, mais aussi plus généralement les traditions vitivinicoles collectives de cette communauté de producteurs. Mais il est très important d’éviter que l’appellation d’origine devienne un instrument d’homologation de ses vins autour d’une notion de « typicité » définie arbitrairement. Aussi, un des problèmes de la définition ci-dessus, c’est qu’elle se prête à des interprétations de manière à ce que pratiquement toute aire de production, aussi mauvaise qu’elle soit, peut trouver une manière de justifier la création d’une AOP.
Les autres critères de distinction entre IGP et AOP sont plus problématiques encore. Si les vins AOP doivent être issus à 100% de raisins de l’aire définie, les vins en IGP permettent de n’utiliser qu’un 85% de raisins locaux – c’est la porte ouverte donc à l’importation de raisins moins chers de moindre qualité, en contradiction donc avec les objectifs qualitatifs, et de manière incompatible avec le marquage des cépages et du millésime sur des vins dilués avec des raisins d’origine imprécise. Dommage donc que les vins en IGP doivent être ainsi considérés comme inférieurs – au contraire, afin de rester compétitifs ces vins devront aussi obéir à une logique de qualité ; le fait d’avoir une origine moins précise, ou plutôt, l’absence de notion de terroir ne doit pas devenir une excuse pour baisser la qualité, il s’agit tout simplement de s’adresser à un autre secteur du marché, un secteur encore plus compétitif parce que dominé par les vins du nouveau monde et donc nécessitant une démarche de qualité et de transparence.
Selon le préambule du Règlement proposé, « l’Union veut confirmer, adapter, promouvoir et valoriser » le concept d’indication géographique, et en agissant ainsi on considère que « la politique de qualité gagne en clarté, en simplicité, en transparence et, partant [sic], en efficacité ». Il n’est pas évident comment la nouvelle classification diffère de l’ancienne, sauf dans les détails, comme par exemple l’autorisation pour les vins de table sans indication géographique de porter des indications de millésime et de cépage (ce qui est interdit aujourd’hui). Au fait, les différences entre le système actuel et les nouvelles appellations proposées sont tellement subtiles, que toutes les appellations actuelles seront automatiquement réinscrites dans le nouveau schéma, come l’indique l’Article 44 : « Les dénominations de vins protégées conformément à l’article 54 du règlement (CE) n° 1493/1999 et de l’article 28 du règlement (CE) n° 753/2002 sont automatiquement protégées au titre du présent règlement ». Il y aura donc peu de changement, et il n’y aura pas une sélection plus rigoureuse des aires qualifiant pour le statut de AOP, toutes les AOC deviendront AOP automatiquement, indépendamment du fait qu’elles représentent vraiment un terroir de qualité distinct ou non.
L’étiquetage sera similaire à celui défini dans le Règlement actuel, mais selon l’Article 52 quelques indications optionnelles seront permises, y compris le millésime, le nom d’un ou plusieurs cépages, et des termes indiquant le contenu en sucre résiduel (ces termes restant sans définition, et pourtant le Règlement actuel inclut des définitions précises de termes tels que « sec » ou « moelleux » etc.).
Mais la question plus brulante que je souhaite traiter sur l’étiquetage, étant donné que j’ai commenté dans la section précédente sur le besoin de réduire le nombre de pratique œnologiques autorisées, est la suivante : pourquoi le vin continue-t-il à bénéficier d’une exemption spéciale sur le marquage des ingrédients sur l’étiquette ? C’est un cas unique dans le monde de l’alimentation et des boissons, et totalement injustifiable. Si les consommateurs avait eu l’opportunité d’exprimer ses opinions sur la reforme de l’OCM, ils auraient pu insister sur l’étiquetage des ingrédients. Puisqu’ils n’ont pas été consultés, ne serait-il pas raisonnable de demander maintenant, avant que la reforme passe, ou bien que tous les ingrédients du vin paraissent sur l’étiquette, ou bien de garantir que le vin ne soit fait qu’avec deux ingrédients, des raisins et un peu de sulfite ? Pouvons-nous imaginer le jour quand toute bouteille de vin, en conformité avec la première phrase de l’Annexe IV du règlement proposé, devra porter la mention obligatoire suivante : « Le vin est le produit obtenu exclusivement de la fermentation alcoolique de raisins frais, avec l’adjonction éventuelle de faibles doses de sulfites pour sa conservation ».
Où est la qualité ?
Nous avons lu dans le préambule du Règlement proposé que les objectifs principaux incluent le renforcement de la réputation des vins de qualité de l’UE, la reconquête des marchés anciens et l’entrée dans les nouveaux, et la préservation des meilleures traditions de la production de vin communautaire.
Malheureusement le Règlement proposé ne définit pas des nouvelles mesures concrètes afin de réaliser ces objectifs. Le vin de l’UE ne peut prospérer qu’en s’appuyant sur une qualité irréprochable, sur un étiquetage clair et compréhensible, et sur une classification claire et commune des aires de production de toute l’Europe. Nous venons de commenter sur l’étiquetage et la classification, mais à propos de la qualité nous avons aussi remarqué l’absence de restrictions concrètes sur les pratiques Å“nologiques utilisées pour « corriger » des vins défectueux – tout le monde sait que les mesures de correction n’améliorent pas les vins – c’est le principe selon lequel la qualité à l’arrivée dépend de la qualité au départ (en anglais, on dit « garbage in, garbage out »).
Les pratiques œnologiques autorisées par cette proposition sont les mêmes autorisées par le Règlement actuellement en vigueur, mais définies de manière plus floue, et paradoxalement les vins destinés à l’export auront encore moins de contraintes. Il y a une confusion sérieuse entre, d’un coté la compétitivité et la liberté de marché, de l’autre la liberté d’agir avec aussi peu de contraintes que possible. Au contraire, c’est précisément sur les vins destinés à l’export que les conditions de production doivent être au moins aussi bonnes que celles pour la production domestique intra-européenne.
Sans aller jusqu’aux extrêmes d’une législation radicale sur le “vin naturelâ€, du moins on aurait pu imaginer l’élimination des pratiques Å“nologiques qui ne contribuent pas à une réelle amélioration de la qualité du vin, ce qui aurait été une incitation à prêter plus d’attention à la matière première, les raisins, et donc encourageant tous les domaines viticoles, petits et grands, à produire du vin issu uniquement de fruits sains, mûrs, propres et naturellement riches.
Bien que cette proposition de Règlement adresse le problème du surpressurage des raisins, il aurait été souhaitable d’inclure dans le règlement d’autres règles de qualité, la plus importante étant de limiter les rendements des vignes, probablement autour des 45 hectolitres par hectare, ou mieux, en exprimant la valeur en termes de rendement par plante. La plupart des rendements sont calculés sur la parcelle complète, y compris les plantes mortes ou les aires non cultivées, avec des tolérances généreuses de 20%, et sans spécifier que ces mesures doivent être des vrais rendements en fruit, et non pas la limite de ce que l’on peut récolter, laissant le reste sur la plante, ou pire, permettant la vente du reste pour du vin de table. Cette pratique déraisonnable sur les rendements pourrait expliquer en partie la surproduction actuelle, et pour la faible qualité de certains vins.
On pourrait imaginer d’autres règles de qualité, par exemple, on connait assez sur l’équilibre gustatif du vin pour imaginer des règlements sur l’acidité et sur le sucre résiduel – la loi allemande a ses propres règles, mais on pourrait rédiger une règle générale pour tous les vins.
Un autre sujet qui n’est pas mentionné par le Règlement proposé : la limitation des doses de sulfitage. On aurait pu imaginer un compromis raisonnable entre les niveaux très faibles employés par certains vignerons radicaux, et les niveaux absurdement élevés autorisés par le Règlement actuel et utilisés couramment dans la production de nos vins. Les sulfites sont un sujet chaud et pourtant pas bien compris par les consommateurs, il aurait été souhaitable de traiter le sujet et imaginer un Règlement permettant à l’UE de négocier les conditions absurdes qui gouvernent la mention obligatoire « contient des sulfites » – le seuil étant fixé à un niveau si bas que 99% des vins doivent porter cette mention, indépendamment du fait qu’ils en contiennent des dosages très faibles ou qu’ils en aient des doses à migraine (mais légalement autorisées).
Cette critique se veut constructive, et je souhaite me démarquer clairement des protestations prévisibles de ces vignerons qui ont du mal à faire face au marché mondial, qui sont contre tout changement et qui souhaitent conserver les vieux acquis et les avantages financiers de l’actuelle OCM. Je ne suis pas d’accord avec les protestations sur la prétendue dégradation du système actuel des appellations (il change très peu), et je ne cautionne pas les cris de ceux qui aimeraient combattre l’arrachage et maintenir le système absurde des droits de plantation, en fait la plantation libre et la réduction des surfaces sont parmi les aspects les plus intéressants de ce nouveau Règlement.
Le Règlement proposé est clairement le résultat d’une consultation de tous les acteurs de la vitiviniculture Européenne, tous sauf les consommateurs, qui n’ont pas pu exprimer leurs vues et leurs préoccupations sur le vin. Il semblerait que le compromis qu’il en résulte n’introduit pas des innovations et des améliorations suffisamment courageuses par rapport au Règlement actuel. Bien que les mesures concernant la libre plantation des vignes et la meilleure utilisation des budgets de l’UE éliminent pas mal d’inefficacités dans le monde du vin en Europe, les améliorations tangible pour les consommateurs ne sont peut-être pas suffisantes pour stimuler le marché et maintenir et accroitre la bonne réputation du vin d’Europe.